La représentation des personnes en situation de handicap dans les médias, et plus particulièrement sur les réseaux sociaux, constitue un enjeu majeur. La ségrégation validiste et le stéréotype du « supercrip » entravent une représentation authentique et équilibrée des personnes handicapées, perpétuant ainsi la discrimination à leur égard et niant ainsi leurs réalités quotidiennes ainsi que leurs individualités.
Les écrans sont des « supports de diffusion de normes de comportements 1» (Martin-Juchat, 2008) et « les formes fictionnelles sont un moyen de véhiculer les représentations sociales » (Combrouze, 2003, p. 28). Ils ont donc un impact significatif sur la construction des représentations sociales de l’inclusion et sur la manière dont les attitudes et les croyances se propagent au sein de la société.
La ségrégation validiste se manifeste par une tendance à marginaliser, invisibiliser ou stigmatiser les personnes en situation de handicap à l’écran. Il y a une sous-représentation incontestable de ces individus, qui sont très souvent exclus des récits et des images diffusés à grande échelle. Cette exclusion peut prendre différentes formes, allant de l’absence totale de représentation à la représentation déformée ou réductrice. Au sommet de cette ségrégation validiste se trouve le stéréotype du « supercrip », qui propose une vision idéalisée des personnes en situation de handicap, contribuant ainsi à une culture de l’« inspiration porn2 ». Nous le retrouvons principalement dans le domaine sportif, notamment le handisport, qui est une « théâtralisation de la réparation fonctionnelle » (Marcellini, 2006, p. 63) » où la performance est utilisée comme symbole de résilience et de capacité à surmonter le handicap. La logique de ce « dispositif d’héroïsation » (Vigarello, 2006, p. 365) et de mise en légitimité (acception du handicap, dépassement, prise en main de soi, contrôle, effort, exploit3), où seuls les corps correspondants majoritairement à ce « capacitisme4 » se développent puissamment dans la sphère médiatique actuelle, pose la question délicate du « handi-washing ». Celle-ci propulse des stéréotypes présentés comme des héros surhumains avec l’aide des médias sociaux, de la publicité et du marketing, qui « manifestent une volonté de normalisation par l’exploit » (Moulin, 2006, p. 34). Les super-héros sont devenus des « produits de consommation courante » (Rogel, 2012, p. 9), tandis que les prothèses techniques et autres aides à l’autonomisation ne le sont pas en raison de leurs coûts élevés, créant ainsi une fracture sociale sans précédent au sein même de l’inclusion. Médiatiquement et socialement, l’idée est ainsi véhiculée que la personne handicapée qui ne correspond pas à l’image propagée de cette puissance du « supercrip » et qui ne démontre pas un effort visant à se dépasser – une posture méritocratique – semble être condamnée à rester dans une position d’« objet de pitié ». Elisa Rojas5 déclare avec justesse cette représentation dichotomique qui enferme les personnes en situation de handicap dans des catégories restreintes : « Nous ne sommes visibles et acceptables socialement que si nous entrons dans l’une et l’autre de ces catégories. Nous sommes sommés d’être soit objet de pitié, soit objet d’admiration, et en tout état de cause toujours “objets” ». Cette vision réductrice de cette conformité sociale préétablie perpétue ainsi considérablement la dépendance à la perception des autres, tout en niant leurs individualités et leurs singularités dans leurs contextes sociaux-environnementaux.
Ces deux aspects problématiques de la représentation de l’inclusion dans les médias, à savoir la ségrégation validiste et le stéréotype du « supercrip », reflètent des biais, des préjugés et des inégalités profondément ancrés. Ils participent fortement à la discrimination et à l’exclusion des personnes handicapées en renforçant les normes restrictives et les préjugés existants, tout en limitant la perception et la compréhension de la diversité des expériences et des réalités vécues par les personnes en situation de handicap.
Dans le cadre de cette étude, nous examinons comment les contenus inauthentiques, stéréotypés ou limités liés aux personnes handicapées sur ces médias contribuent à perpétuer les attitudes et les croyances validistes au sein de la société. En utilisant une méthodologique qualitative, nous effectuons dans un premier temps une revue de la littérature existante sur la représentation des personnes handicapées sur les médias sociaux, ainsi que sur les effets de ces représentations sur les attitudes et les croyances validistes. Puis dans un deuxième temps, nous procédons à une collecte de données sur les réseaux sociaux, en nous concentrant principalement sur les plateformes telles que Facebook, Instagram et Youtube. A l’aide des techniques d’analyse de contenu, nous classifions les contenus relatifs aux personnes handicapées, en portant une attention particulière aux éléments inauthentiques, stéréotypés ou limités, tout en tenant compte des schémas de visibilité sélective ou biaisée des personnes handicapées sur ces plateformes.
Cette approche analytique permet de mieux comprendre les mécanismes par lesquels les médias sociaux peuvent renforcer les normes restrictives et les préjugés discriminatoires envers les personnes en situation de handicap. Par cette étude, nous souhaitons contribuer à promouvoir une représentation plus authentique, inclusive et respectueuse des personnes en situation de handicap à l’écran.
Références
Fabienne Martin-Juchat, Le corps et les médias : La chair éprouvée par les médias et les espaces sociaux. De Boeck, 2008.
Anne-Marie Moulin, Le corps face à la médecine. In A. Corbin, J.-J. Courtine, G. Vigarello (Dirs.), Histoire du corps. 3. Les mutations du regard. Le XXe siècle. Éditions du Seuil, 2006, p.15-68.
Delphine Combrouze, Personnes handicapées et fictions : Deux exigences contradictoires ! In A. Blanc & H.-J. Stiker, Le handicap en images. ERES, 2003, p.27‐41.
Anne Marcellini, Des corps atteints valides ou de la déficience au « firmus ». Hypothèses autour de la mise en scène sportive du corps handicapé. In Boëtsch, G., Chapuis- Lucciani, N., Chevé, D. (Dir.), Représentations du corps. Le biologique et le vécu. Normes et normalité. Presses Universitaires de Nancy, 2006, p.59-68.
GeorgesVigarello, Stades. Le spectacle sportif des tribunes aux écrans. In A. Corbin, J.-J. Courtine, & G. Vigarello (Dirs.), Histoire du corps. 3. Les mutations du regard. Le XXe siècle. Éditions du Seuil, 2006, p.357-284.
Thierry Rogel, Sociologie des super-héros. Hermann, 2012.
1 FabienneMartin-Juchat, Penser le corps affectif comme un média, Dans Corps 2008/1 (n° 4), pages 85 à 92.
2Stella Young, Inspiration porn and the objectification of disability, TED Talk[En ligne :] [URLhttps://www.ted.com/talks/stella_young_i_m_not_your_inspiration_thank_you_very_much/discussion] Consulté le 16 juillet 2023.
3 Amélie Tehel, Thèse « (Re)construire un corps hors-normes : perspective communicationnelle de la fabrication Do It Yourself de soi. » – 2021, p.364.
4 Emily Bobrow, Haben Girma Is a Trailblazer for the Deaf and Blind, The Wall Street Journal, 2 août 2019.
5 Elisa Rojas, Aux marches du palais. [En ligne :] [URL https://auxmarchesdupalais.wordpress.com/2016/07/27/superhumans/] Consulté le 16 juillet 2023.