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Le rapport au temps : enjeu de l’humanisme digital

L’évolution effrénée de la technologie numérique au cours de la dernière décennie a profondément perturbé les interactions humaines et notre façon d’utiliser le temps. Cette étude souhaite adopter une approche d’humanisme numérique afin d’explorer les défis liés à l’utilisation du temps à l’ère numérique, tout en préservant notre humanité et en promouvant la durabilité sociale et environnementale. À travers une méthodologie d’étude historique, nous analysons les développements passés pour mieux comprendre les enjeux actuels afin de formuler des hypothèses quant aux recommandations possibles pour l’avenir.

Dans la première partie, nous examinons l’évolution des TIC et des changements dans les habitudes et les comportements liés au temps, ainsi que leurs impacts. Dans la deuxième partie, nous analysons les enjeux actuels et les défis auxquels nous sommes confrontés dans l’utilisation du temps à l’ère numérique. Puis, en troisième partie, nous formulons des hypothèses et des recommandations afin de développer un équilibre primordial dans la gestion de ce nouveau temps numérique.

Au fil des siècles, la perception du temps a été intrinsèquement liée aux avancées techniques, développant ainsi de nouvelles configurations dans les rapports sociétaux. Initialement, et majoritairement rythmé par les cycles naturels, le temps était essentiellement biologique et environnemental. Avec l’émergence de la société industrielle, celui-ci a été fragmenté en unités de travail. Cette approche mécaniste du temps a attribué un capital économique, mettant ainsi le rendement, la productivité et l’efficacité en première ligne de la gestion temporelle. Depuis l’avènement de l’ère numérique, son organisation (exemple : l’économie de l’attention) posent de nouveaux défis quant au respect des ressources naturelles, biologiques et environnementales. La multiplication des canaux numériques et la connectivité permanente ont configuré une surcharge d’informations cognitives, une fragmentation de l’attention, une dépendance accrue aux interfaces digitales et une difficulté à établir des frontières claires entre la vie digitale, personnelle et professionnelle. L’ensemble de ces facteurs peut compromettre le développement de la qualité de vie humaine tout en mettant en péril celle du vivant et de la biodiversité par l’accroissement matériel sans précédent des données informationnelles et des supports des TIC. La surcharge d’informations généralisée et la fragmentation de l’attention développent une altération cognitive provoquant une forme d’inefficacité croissante dans l’utilisation intelligente des outils. Les effets néfastes de cette surcharge sur la cognition et le bien-être émotionnel, développés par Carr1, mettent en garde contre la diminution de la capacité à se concentrer sur l’essentiel et à réfléchir de manière critique. Cette connectivité permanente génère également une dépendance accrue aux appareils numériques et pose également des difficultés à établir des frontières claires entre vie digitale, personnelle et vie professionnelle. Lanier2 met en évidence les méfaits de cette dépendance allant de l’altération de l’estime de soi à la manipulation des comportements et des opinions par les plateformes technologiques. Newport3 souligne l’importance de définir des limites claires pour préserver la concentration et le bien-être. Les frontières s’estompent dans cette disponibilité permanente des outils et génère une pression de la connectivité en tout temps, dégradant ainsi les qualités de vie humaine.

Cette gestion du temps imposée par les NTIC posent des défis majeurs. Intégrer la dimension de la durabilité sociale et de l’humanisme à l’ère numérique est essentiel et primordial afin de préserver une individuation éclairée et une socialisation durable. La sobriété numérique, le développement de la singularité humaine et l’intelligence critique semblent être la triade stratégique pour préserver l’équilibre face au développement effréné du diktat temporel numérique (cf. puissance de l’intelligence artificielle). Les limites sur l’utilisation des appareils numériques (Tristan Harris4) permettent de reprendre le contrôle sur la gestion du temps à l’ère numérique. Repenser notre relation avec la technologie peut permettre de se libérer des chaînes de la dépendance aux réseaux sociaux et de limiter notre exposition à des stimuli sans fin. Mettre en place des rituels (auto-soins, techniques de concentration, repos) et des limites claires entre le temps digital, professionnel et le temps personnel peuvent contribuer à préserver la santé mentale et physique ( Huffington5). L’exploitation compromise des informations manipule les comportements et l’autonomie. Les données captées servent désormais à « orienter, modifier et conditionner tous nos comportements : notre vie sociale, nos émotions, nos pensées les plus intimes6» (Zuboff). Il est nécessaire d’activer des cheminements de relations informationnelles et sociales basées sur l’authenticité et de prendre soin du potentiel cognitif humain. C’est en instaurant des moments de déconnexion réguliers et en établissant des espaces hors connectivité qu’il semble possible possible de repenser les liens et de maintenir le développement de la réflexion, de la créativité et des interactions authentiques.

Afin de préserver l’humanité et de maintenir la durabilité sociale, la technologie ne peut être séparée d’un utilisation réfléchie et développe de nouvelles pratiques à adopter de façon permanente. Cette étude vise à formuler et à faire le point sur des recommandations concrètes pour une utilisation équilibrée et durable du temps à l’ère numérique. En intégrant les valeurs de l’humanisme et en adoptant une approche historique, à travers cette étude, nous pouvons développer des stratégies afin de cultiver un équilibre entre les exigences du monde numérique et le bien-être personnel et social.

Références

1 Nicholas Carr, The Shallows: What the Internet Is Doing to Our Brains, 2010

2Jaron Lanier, Ten Arguments for Deleting Your Social Media Accounts Right Now, 2018

3Cal Newport, Deep Work: Rules for Focused Success in a Distracted World, 2016

4 Center for Humane Technology, Time Well Spent, Tristan Harris

5Arianna Huffington, Thrive: The Third Metric to Redefining Success and Creating a Life of Well-Being, Wisdom, and Wonder, 2014

6 Shoshana Zuboff, The Age of Surveillance Capitalism : The Fight for a Human Future at the New Frontier of Power, 2018